Quand la chlorophylle devient pigment
Et si votre jardin devenait votre palette de peinture ? Ce n’est pas un conte de fée bucolique, mais bien une technique artistique fascinante : la chlorophyllographie. Utiliser la chlorophylle des plantes pour dessiner ou imprimer des motifs, voilà une forme d’expression qui fusionne nature, créativité et conscience écologique.
À l’Atelier Salence, où se croisent mains terreuses et pinceaux rêveurs, cette approche alternative du végétal pourrait bien trouver sa place entre un atelier de poterie et une promenade en permaculture. Penchons-nous sur cette pratique étonnante, à la fois accessible et chargée de poésie verte.
Qu’est-ce que la chlorophyllographie ?
La chlorophyllographie (aussi appelée chlorophyll print ou chlorographie) est une technique d’impression naturelle qui consiste à utiliser la chlorophylle des feuilles pour créer une image. Le résultat ? Une empreinte d’un vert tendre, souvent délicatement floutée, presque onirique, obtenue sans peinture ni encre industrielle. On capte littéralement l’âme de la feuille, au sens quasi-littéral.
Ce procédé repose sur la réaction de la chlorophylle à la lumière. En masquant certaines zones d’une feuille pour empêcher la lumière de les atteindre, on “imprime” un motif ou un dessin sur sa surface. C’est une combinaison de nature, chimie douce et créativité.
Origines et inspirations
À l’image du cyanotype en photographie, la chlorophyllographie est une forme d’impression photosensible, mais elle s’inscrit davantage dans une démarche écologique et sensorielle. Populaire parmi les artistes naturalistes et les passionnés de land art, elle connaît un regain d’intérêt dans les milieux de la permaculture, de la pédagogie sensorielle et de l’art environnemental.
Peut-être avez-vous déjà croisé le travail de l’artiste Binh Danh, pionnier dans ce domaine, qui a imprimé des portraits et des paysages sur des feuilles récoltées au jardin. Une œuvre fragile, éphémère, mais intensément vivante !
Matériel nécessaire pour se lancer
Bonne nouvelle : nul besoin d’un atelier complet ou d’équipement coûteux. Voici ce qu’il vous faut pour vos premiers pas en chlorophyllographie :
- Des feuilles fraîches (épinard, betterave, rhubarbe, lierre, figuier… préférez les grandes et bien vertes)
- Un motif ou pochoir (mot découpé à la main, photo imprimée en négatif, dentelle…)
- Du papier absorbant
- Une plaque de verre ou du plexiglas
- Des pinces ou serre-joints
- Une source de lumière intense (soleil d’été, lampe UV…)
Pas à pas : imprimez avec le soleil
Voici une méthode simple, testée et approuvée, pour réaliser vos premiers tirages végétaux.
- 1. Sélectionnez votre feuille : Cueillez une feuille bien verte (évitez celles déjà flétries ou trop fines). Posez-la sur du papier absorbant pour éviter qu’elle ne glisse.
- 2. Préparez votre motif : Choisissez un pochoir ou imprimez un motif en négatif (zones sombres et claires inversées). Vous pouvez aussi dessiner à la main sur un calque opaque.
- 3. Assemblez les couches : Placez la feuille en sandwich entre votre motif au-dessus et une plaque de verre pour bien comprimer l’ensemble. Fixez avec des pinces pour éviter les bougés.
- 4. Exposition : Laissez l’ensemble sous une lumière directe pendant plusieurs heures (l’idéal étant 24 à 48h en plein soleil). Le masque va empêcher certaines zones de la feuille de recevoir la lumière, et celles-ci conserveront leur teinte d’origine, tandis que le reste va pâlir.
- 5. Révélation : Retirez les pinces et soulevez doucement la plaque. Votre dessin apparaît. Subtil, végétal, éphémère… mais magnifique !
Petites astuces pour de grands résultats
La chlorophyllographie se prête merveilleusement aux expérimentations. Voici quelques conseils glanés après quelques essais — et ratés ! — dans ma propre cuisine :
- Choisissez des feuilles riches en pigment et souples. Le noisetier ou le plantain donnent de très bons résultats.
- Variez les pochoirs : une résille de sac à oignon, une feuille de dentelle, un napperon vintage : tout est prétexte à jouer avec la lumière.
- Essayez d’appliquer de l’huile végétale ou un soupçon d’alcool à 70° (avec précaution) avant l’exposition, pour accentuer le contraste final.
- Fixez vos tirages finis sous verre, ou prenez-les en photo si vous souhaitez garder leur souvenir, car l’image disparaîtra avec le temps.
Une méditation verte
Ceux et celles qui aiment prendre le temps — de regarder, de toucher, d’honorer la nature dans sa lenteur — seront séduits par la chlorophyllographie. Ce n’est pas une activité de performance, mais un moment de pause, de lien avec le végétal.
Pour ma part, j’ai testé cette technique un après-midi d’août avec mes nièces. Après avoir patiemment déniché des feuilles de figuier dans le jardin de ma grand-mère, nous avons créé des impressions végétales qui ont duré le temps d’un goûter. Ce n’était pas “parfait”, mais c’était beau, vivant, curieux. Et surtout, cela les a rendues attentives à des détails qu’elles n’avaient jamais remarqués : la nervure d’une feuille, la lumière d’un soir, la texture sous leurs doigts.
Chlorophylle et conscience écologique
Ce qui me touche particulièrement dans la chlorophyllographie, c’est sa cohérence. Elle ne cherche pas à dompter la nature, mais à créer avec elle. Aucun colorant synthétique, aucun rejet toxique, aucun gaspillage inutile. Une démarche presque “zéro déchet” qui pourrait parfaitement s’intégrer dans un atelier de permaculture ou de loisirs créatifs durables.
Elle permet aussi de faire découvrir aux enfants — ou aux adultes curieux — le fonctionnement même des plantes. Pourquoi une feuille pâlit-elle à la lumière ? Que se passe-t-il au niveau de la chlorophylle ? Voilà une occasion en or de mêler art, biologie et conscience environnementale.
Applications et inspirations
Mais que faire de vos tirages une fois réalisés ? Voici quelques idées pour leur donner une seconde vie artistique :
- Scannez ou photographiez vos œuvres et imprimez-les sur papier recyclé pour créer des cartes de vœux végétales.
- Intégrez vos feuilles dans un carnet de croquis, un herbier personnel ou un journal d’artiste.
- Utilisez-les comme base pour un dessin ou une peinture mixte. Superposer de l’encre, du fil ou du fusain sur ces empreintes végétales crée de superbes collages.
- Animez un atelier intergénérationnel autour de cette technique : chacun repart avec sa création, et une nouvelle gratitude pour la verdure environnante.
La chlorophyllographie, entre art et nature, ne cherche pas la perfection d’un rendu fini. Elle invite à ralentir, à jouer avec ce que la nature nous offre, et à voir dans chaque feuille une œuvre en puissance. Un peu comme dans la poterie ou la permaculture, c’est le geste, plus que le résultat, qui compte.
Alors, prêt·e à caresser vos feuilles autrement ?